Vote électronique – Le moratoire s’impose

En avril 2017, après des années de tests effectués dans divers cantons la Confédération et les cantons ont manifesté dans une déclaration commune leur volonté de mettre fin à la phase d’essai et de faire du vote électronique le troisième moyen d’expression lors de consultations populaires. En plus du vote à l’urne et de l’envoi par courrier postal, il serait possible de voter avec son ordinateur. La consultation relative au projet de révision dure jusqu’au 30 avril 2019.
En face, la résistance s’organise. Une large coalition regroupant des acteurs de l’ensemble de l’échiquier politique — c’est assez rare pour être souligné — vient de lancer une initiative populaire pour un moratoire sur le vote électronique.
Le vote électronique en Suisse
Aujourd’hui, le vote électronique existe sous deux formes en Suisse. D’un côté, le modèle développé par le canton de Genève qui est en partie en open source depuis fin 2016. De l’autre une offre fournie par La Poste, qui se base sur le système d’une société espagnole, Scytl. Toutefois, cette diversité de l’offre est appelée à disparaître: le modèle genevois sera abandonné en février 2020, la faute à des investissements financiers jugés comme trop élevés. La Poste aura ainsi le monopole du vote électronique sur le territoire national. Pour l’instant, dix cantons proposent le vote électronique en phase d’essai. La moitié d’entre eux (FR, BS, SG, NE, GE) le propose tant aux Suisses de l’étranger qu’aux électeurs domiciliés sur leur territoire. Pour l’autre moitié (BE, LU, AG, TG et VD) seuls les électeurs vivant à l’étranger peuvent profiter de ce service.
L’objectif actuel est de passer à la vitesse supérieure, dans le but d’étendre cette offre à l’ensemble des électeurs du pays. Rappelons que le vote électronique ne sera autorisé lors des votations et élections fédérales que lorsque les strictes exigences du droit fédéral en matière de sécurité seront remplies. De plus, pour éviter un procès en déni de fédéralisme, ce sont les cantons et leurs électeurs qui décideront à leur échelle de proposer ou non le vote électronique.
Une condition qui doit être remplie pour permettre ce passage au niveau supérieur est la mise en place de la vérifiabilité complète. Jusqu’à présent seule la vérifiabilité individuelle était nécessaire.
La vérifiabilité individuelle permet au votant de déterminer si son suffrage a été enregistré correctement par le système, c’est-à-dire tel qu’il l’a exprimé. Le votant peut ainsi s’assurer que son suffrage n’a pas été détourné sur la plateforme de vote ou sur Internet.
La vérifiabilité complète signifie quant à elle que les dysfonctionnements systématiques dus au défaut d’un logiciel, à une erreur humaine ou à une tentative de manipulation affectant une des étapes qui vont de la saisie du vote à l’établissement des résultats doivent pouvoir être décelés par des moyens indépendants du système.
Source : Glossaire sur le vote électronique
Autre étape au programme: un test ouvert au public. Dans le cadre d’un test public d’intrusion, la publication du code source du système de La Poste Suisse doit donner l’occasion aux experts de tester sa vulnérabilité.
Un test public d’intrusion ne peut apporter la preuve que le vote électronique est sûr, mais il constitue une occasion d’identifier des vulnérabilités inconnues et de les éliminer si besoin est. De surcroît, il permet à des milieux supplémentaires, regroupant de nombreux spécialistes, de participer au débat public. Ces derniers peuvent eux aussi contribuer, indirectement, à accroître la sécurité.
Source : Fiche d’information du comité de gestion de la Confédération et des cantons
Ce test est prévu du 25 février au 24 mars 2019. Les participants sont autorisés à publier leurs résultats après une date convenue avec les organisateurs. Elle sera fixée 45 jours au plus tard après la confirmation de l’existence d’une faille. On ne saura donc que plus tard si ce test s’est officiellement bien passé. Toutefois, mécontents des règles du jeu, certains chercheurs ont analysé le code source en dehors du test officiel. Les premiers résultats sont alarmants: selon les experts en question, les protocoles ont été mis en œuvre avec un manque de compréhension de la cryptographie, combiné à une programmation bâclée. Et surtout, la vérifiabilité universelle ne serait pas garantie ! Cette faille est jugée majeure par la Chancellerie fédérale.
Le vote électronique – Une solution, vraiment ?
Selon ses partisans, le vote électronique serait la solution miracle pour faire augmenter la participation. Prenons en exemple mon canton d’origine: Neuchâtel. Pour voter en ligne, il faut s’inscrire au Guichet unique — qui permet d’effectuer en ligne des démarches administratives — recevoir le code par courrier postal et enfin déposer son vote en ligne. On est donc loin d’un remède à l’abstentionnisme, car si le Guichet unique est un indéniable succès, l’utilité du vote électronique en terres neuchâteloises reste à prouver. A Neuchâtel, comme ailleurs. C’est confirmé dans un rapport de l’Université de Genève qui conclut que “l’introduction du vote par Internet n’a pas conduit à une augmentation de la participation. L’e-voting n’accroit pas la participation des jeunes, des abstentionnistes ou des votants occasionnels”. Les chiffres mis à disposition par la Chancellerie viennent confirmer ces conclusions. Dans le canton de Neuchâtel, le vote électronique n’est de loin pas plébiscité par les jeunes votants qui préfèrent toujours voter par correspondance, quand ils votent.
Un accélérateur de risques
Dans le rapport explicatif de la procédure de consultation, la dangerosité intrinsèque du vote électronique est implicitement reconnue : “les particularités techniques du vote électronique justifient que la procédure en la matière soit réglée à l’échelon fédéral plus strictement que pour les autres canaux de vote. La rigueur des exigences du droit fédéral et le degré de précision de la réglementation se justifient en raison des conséquences à grande échelle que d’éventuelles manipulations pourraient avoir.“ À lire ces lignes, même les défenseurs de son introduction reconnaissent l’importance politique du sujet soumis à discussion. Il ne s’agit pas d’une simple extension technique du droit de vote, mais bien d’un réel choix politique. La thématique du vote électronique cache une question bien plus complexe qu’il n’y paraît. Certains sont favorables au vote électronique, mais pas dans sa version privée et centralisée, lui préférant une alternative décentralisée. D’autres sont farouchement opposés au principe même. Sans oublier ceux qui souhaitent d’abord mener un débat général sur l’impact du numérique sur nos vies et une sensibilisation à la cybersécurité. Difficile de s’épargner ces grands débats de fond avant de pouvoir décider de façon éclairée de l’introduction, ou non, d’un système de vote électronique.
Il est nécessaire de rappeler qu’ici l’incitatif à la triche est autrement plus alléchant que pour le vote traditionnel. Les fraudes habituelles demandent une organisation et une logistique conséquentes. Pendant ce temps, pirater le vote en ligne est faisable depuis n’importe où, partout dans le monde et à une échelle potentiellement bien plus grande. Devons-nous prendre le risque de mettre en danger la crédibilité de notre démocratie pour une solution imparfaite qui ne règle aucunement le problème de la faible participation, tout en laissant la porte ouverte à de nombreuses dérives ? Ma réponse est claire, le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Tirer la sonnette d’alarme – Le moratoire s’impose
Dans un récent communiqué de presse, qui justifie son opposition à l’avant-projet de loi concernant le vote électronique, le Conseil d’État du canton de Vaud explique que Les mesures proposées par le Conseil fédéral, destinées à faire du scrutin électronique un moyen de vote à part entière, sont insuffisantes pour garantir la sécurité du vote. Face à l’absence de prise en compte sérieuse de ce risque pour notre démocratie, il est urgent de mettre un frein à la volonté d’étendre le vote électronique à tout prix. La sécurité doit primer sur la vitesse. La Suisse et ses nombreux dimanches de votation ne peut se permettre un résultat de votation potentiellement sujet à contestation. Notre système démocratique se distingue par la prise de décisions régulière par les urnes et la capacité de perdants de reconnaître la victoire de l’autre camp. Tant le déroulement des scrutins que leur résultat doivent éviter de susciter le moindre doute. Dans le cas contraire, assurément, le climat politique se détériorerait rapidement. En cas de vote très serré, certains pourraient profiter de cette insécurité pour remettre en cause les résultats. Au vu des éléments cités plus haut, comment pourrait-on de bonne foi assurer qu’il n’y a aucune raison de douter du système ?
Toujours dans son rapport explicatif de la procédure de consultation, la Chancellerie rappelle que si la consultation devait produire des résultats majoritairement négatifs, le Conseil fédéral pourrait en tout temps revenir sur sa décision. Au vu du développement récent et les nombreuses questions soulevées par ce dernier, l’avenir du grand projet semble pour le moins incertain…
Pour éviter cette dérive que nous fait courir le vote électronique — sans même être capable de faire augmenter le taux de participation aux scrutins populaires — signez l’initiative populaire fédérale «pour une démocratie sûre et fiable» qui introduira un moratoire sur le vote électronique. Cette dernière veut interdire l’e-voting tant qu’il ne sera pas autant protégé contre des manipulations que le vote à l’urne.
Mise à jour :
Le 29 mars 2019 la Poste communique qu’elle « suspend l’exploitation de son système de vote électronique pour une durée déterminée. Les retours quant au code source publié révèlent des erreurs critiques. L’intégrité des votations et des élections étant une priorité absolue, la Poste se doit d’agir. Elle corrigera le code source et le fera à nouveau contrôler par des experts indépendants. Par conséquent, elle ne mettra pas son système de vote électronique à la disposition des cantons pour les votations du 19 mai. »
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